Chaque année, plus d’1,3 million d’erreurs de médication se produisent aux États-Unis - la plupart à cause d’un simple mélange entre deux comprimés, une mauvaise lecture de l’ordonnance, ou un patient mal identifié. Dans les pharmacies, où des dizaines de médicaments différents sont délivrés chaque jour, la pression est énorme. Et pourtant, il existe une technologie simple, peu coûteuse et extrêmement efficace pour éviter ces erreurs : la lecture de codes-barres.
Comment ça marche ? Le système des cinq droits
Le principe est basé sur les « cinq droits » : le bon patient, le bon médicament, la bonne dose, la bonne voie d’administration, et le bon moment. Avant l’ère des codes-barres, les pharmaciens vérifiaient tout manuellement : ils lisaient l’étiquette, comparaient avec l’ordonnance, croisaient avec le dossier du patient… et parfois, ils se trompaient. Une fatigue, une interruption, un nom de médicament ressemblant - et c’est trop tard.
Aujourd’hui, chaque comprimé, chaque flacon, chaque seringue porte un code-barres unique contenant le NDC (National Drug Code), un identifiant standardisé par la FDA depuis 2006. Lorsqu’un pharmacien prépare un médicament, il scanne d’abord le bracelet du patient, puis le code-barres du médicament. Le système compare automatiquement les deux : si le médicament ne correspond pas à ce qui a été prescrit pour ce patient, une alarme retentit. C’est tout. Pas de doute. Pas d’ambiguïté.
Des études montrent que ce simple geste réduit les erreurs de délivrance de 65 % à 86 %. Dans un hôpital de Pennsylvanie, la précision est passée de 86,5 % à 97 % après l’implémentation du système. C’est comme si une seconde paire d’yeux, infatigable et sans erreur, vérifiait chaque ordonnance avant qu’elle ne quitte le comptoir.
Les codes-barres : 1D ou 2D, quelle différence ?
Tous les codes-barres ne sont pas faits pareil. Les plus anciens sont les codes linéaires (1D), comme ceux qu’on trouve sur les boîtes de céréales. Ils contiennent seulement le NDC. Mais les nouveaux médicaments, surtout ceux en flacon ou en stylo injectable, utilisent désormais des codes 2D (matriciels). Ceux-là peuvent stocker bien plus d’informations : numéro de lot, date de péremption, concentration exacte, même des instructions de stockage.
La FDA a lancé en 2023 un programme pilote pour tester ces codes 2D sur les médicaments à haut risque. Et l’American Society of Health-System Pharmacists (ASHP) prévoit que d’ici 2026, 65 % des médicaments utiliseront cette technologie - contre seulement 22 % en 2023. Pourquoi ? Parce que les codes 2D permettent de détecter des erreurs que les codes 1D ne voient pas. Par exemple, une seringue de vancomycine à 50 mg/mL au lieu de 5 mg/mL - si le code-barres contient la concentration, le système peut alerter immédiatement.
Le vrai problème : les contournements
La technologie est fiable. Mais les humains, eux, ne le sont pas toujours. Dans 68 % des hôpitaux qui utilisent les codes-barres, le personnel contourne le système au moins une fois par semaine. Pourquoi ? Parce que les scanners ne lisent pas toujours. Un code endommagé. Un flacon trop petit. Une étiquette mal collée. Une lumière trop faible.
Et là, certains pharmaciens font un geste dangereux : ils scannent le code-barres d’un autre médicament similaire, ou ils tapent manuellement le NDC. Ils pensent qu’ils font bien. Mais ils ouvrent la porte à une erreur. L’Institut ECRI a publié une alerte en janvier 2024 : « Quand un code-barres ne se lit pas, il faut vérifier visuellement le médicament. Ne jamais envoyer une étiquette sans vérifier ce qu’elle contient. »
Un cas réel : un pharmacien a scanné une étiquette de vancomycine sur une seringue contenant en réalité de la morphine. Le code était correct - mais l’étiquette avait été mal imprimée. Le système n’a rien détecté. Le patient a reçu le mauvais médicament. C’est l’effet « biais d’automatisation » : on fait confiance à la machine, même quand elle a tort.
Comparaison avec les méthodes traditionnelles
Avant les codes-barres, les pharmacies utilisaient la double vérification : deux pharmaciens regardaient la même ordonnance. C’était censé être sûr. En réalité, les études montrent que cette méthode détecte seulement 36 % des erreurs. Pourquoi ? Parce que les deux personnes peuvent se tromper de la même façon. Elles lisent la même erreur. Elles ignorent le même détail. Elles sont fatiguées en même temps.
Le système de lecture de codes-barres, lui, détecte 93,4 % des erreurs potentielles. Il ne se fatigue pas. Il ne saute pas une étape. Il ne confond pas le « levothyroxine » avec le « levetiracetam ». Il compare des données numériques, pas des mots écrits à la main.
Et contrairement aux pompes intelligentes (qui ne protègent que les perfusions IV), les codes-barres couvrent tous les types de médicaments : comprimés, gélules, sirops, injections, inhalateurs. C’est la seule technologie qui couvre l’ensemble du processus de délivrance.
Les limites réelles - et comment les surmonter
Non, les codes-barres ne sont pas parfaits. Ils échouent sur certains médicaments : les ampoules, les insulines, les produits préparés sur place (composés). Ces médicaments n’ont pas toujours de code-barres standard. Les pharmaciens doivent alors utiliser des plateaux spéciaux, des lumières renforcées, ou des scanners à haute résolution.
Un pharmacien de Kaiser Permanente a partagé sur LinkedIn : « Le système nous a sauvés d’une erreur de dose de levothyroxine - 10 fois trop forte. Mais chaque jour, on perd 30 minutes à réparer les scanners avec les stylos d’insuline. »
Les solutions existent. Les meilleures pharmacies mettent en place des équipes dédiées pour vérifier les codes-barres des nouveaux produits avant leur arrivée. Elles testent les étiquettes sur des scanners réels. Elles forment leur personnel à ne jamais contourner le système - même sous pression. Elles analysent chaque semaine les données pour identifier les médicaments souvent scannés à la main. Et elles signalent les problèmes récurrents à l’Institut pour la Sécurité des Médicaments (ISMP).
Adoption : hôpitaux vs pharmacies de quartier
La technologie est largement adoptée dans les hôpitaux : 78 % des établissements américains de plus de 300 lits l’utilisent. Mais dans les pharmacies de quartier, seulement 35 % ont investi dedans. Pourquoi ? Le coût. Un système complet - scanners, logiciels, intégration avec les dossiers électroniques - peut coûter entre 50 000 et 150 000 dollars. Pour une petite pharmacie indépendante, c’est énorme.
Et pourtant, les bénéfices sont immédiats. Une erreur de délivrance peut coûter jusqu’à 25 000 dollars en frais juridiques et soins supplémentaires. Et c’est sans compter le risque pour la vie du patient. Les pharmacies qui ont adopté la technologie rapportent une réduction de 75 % des erreurs. Elles gagnent aussi en confiance : les patients savent qu’ils sont en sécurité.
Les grandes chaînes comme CVS ou Walgreens ont déjà intégré les codes-barres dans leurs systèmes. Mais les petites pharmacies n’ont pas besoin de tout le système. Elles peuvent commencer petit : un seul scanner, un logiciel simple, et la vérification systématique des ordonnances à risque - les opioïdes, les anticoagulants, les insulines.
Le futur : l’intelligence artificielle et les codes 2D
La prochaine étape ? L’IA. Epic Systems et Cerner travaillent sur des systèmes qui prédisent quand un code-barres va échouer. Ils analysent les images des flacons, reconnaissent les étiquettes endommagées, et proposent automatiquement une vérification visuelle. D’ici 2025, ces outils seront disponibles.
Et les codes 2D vont devenir la norme. Ils permettront de tracer chaque médicament depuis le fabricant jusqu’au patient. Si un lot est retiré, le système saura exactement qui l’a reçu. Si une erreur survient, on pourra la reconstituer en quelques clics.
La technologie évolue. Mais la règle reste la même : les codes-barres ne remplacent pas la vigilance humaine. Ils la renforcent. Ils transforment le pharmacien d’un vérificateur manuel en un superviseur expert, capable de se concentrer sur les cas complexes, les interactions médicamenteuses, les patients à risque.
Que faire si vous êtes pharmacien ?
- Scannez TOUS les médicaments - même ceux que vous connaissez bien.
- Ne scannez jamais une étiquette sans vérifier visuellement le contenu du flacon.
- Signalez les codes-barres endommagés ou manquants à votre fournisseur.
- Formez votre équipe à ne jamais contourner le système, même en urgence.
- Exigez des codes 2D pour les médicaments à haut risque.
- Revoyez chaque semaine les données de votre système : quels médicaments sont souvent scannés à la main ? Pourquoi ?
La sécurité des patients ne dépend pas de la technologie. Elle dépend de la manière dont on l’utilise. Les codes-barres ne sont pas une solution magique. Mais ils sont la meilleure ligne de défense que nous ayons aujourd’hui. Et dans une pharmacie, chaque erreur évitée, c’est une vie sauve.
2 commentaires
Chanel Carpenter
Je trouve ça incroyable qu’on n’ait pas encore tout mis en place ici en France. On perd tellement de temps avec des vérifications manuelles… et pourtant, c’est si simple !
Sophie Burkhardt
OH MON DIEU, JE VIENS DE VOIR CETTE ÉTUDE DE PENNSYLVANIE 😭 C’EST COMME SI ON AVAIT UN ANGE GARDIEN EN PLUS SUR LE COMPTOIR ! 🙌✨ Chaque fois que je vois un pharmacien scanner un médicament, je me dis : ‘Merci, tech, tu viens de sauver quelqu’un.’