Beaucoup de femmes enceintes se tournent vers les suppléments à base de plantes pour soulager les nausées, améliorer le sommeil ou se sentir plus en contrôle pendant leur grossesse. Après tout, si c’est « naturel », ça doit être sûr, non ? La réalité est bien plus compliquée. En Suisse comme dans le monde, environ 29 % des femmes enceintes prennent au moins un supplément herbier pendant leur grossesse. Mais peu savent que la plupart de ces produits n’ont jamais été testés pour leur sécurité chez les femmes enceintes. Et c’est là que le danger réside.
Les herbes les plus populaires - et leurs vrais risques
Le gingembre est sans doute le plus étudié et le plus souvent recommandé. Des dizaines d’études montrent qu’il réduit efficacement les nausées et les vomissements pendant le premier trimestre, à condition de ne pas dépasser 1 000 mg par jour. Il est souvent préféré aux médicaments traditionnels parce qu’il n’a pas les mêmes effets secondaires. Mais même le gingembre n’est pas sans risque : il peut interagir avec les anticoagulants, ce qui peut être dangereux si la femme prend déjà de l’aspirine ou un traitement pour la pression artérielle.
La feuille de framboise rouge, elle, est un mystère. Beaucoup de sages-femmes et de sites web la recommandent pour « tonifier l’utérus » et faciliter l’accouchement. Mais une revue de l’American Academy of Family Physicians montre qu’elle est associée à un taux plus élevé de césariennes lorsqu’elle est utilisée pour déclencher le travail. Et elle n’est pas la seule : le romarin, pris en grande quantité par voie orale, peut stimuler les contractions utérines. Le thé de camomille, souvent choisi pour calmer les nerfs, pourrait augmenter le risque de naissance prématurée ou de poids de naissance faible selon certaines études. Et la canneberge - utilisée pour prévenir les infections urinaires - a été liée à des saignements inexpliqués au deuxième et troisième trimestre.
Le problème de la régulation : « naturel » ne veut pas dire « sûr »
En Suisse comme aux États-Unis, les suppléments à base de plantes ne sont pas soumis aux mêmes normes que les médicaments. L’Agence européenne des médicaments exige un peu plus de transparence que la FDA américaine, mais même là, les contrôles varient d’un pays à l’autre. Résultat : deux bouteilles du même produit, achetées dans deux magasins différents, peuvent contenir des quantités totalement différentes de l’ingrédient actif. Dans 20 à 60 % des cas, selon les inspections de la FDA, les suppléments contiennent des substances non listées - parfois des médicaments prescrits, des métaux lourds ou des herbes interdites.
Et puis il y a la question du dosage. Une tasse de thé de framboise rouge n’est pas la même chose qu’une gélule concentrée. Pourtant, les étiquettes ne précisent jamais la dose réelle d’extraits actifs. Une femme peut penser qu’elle prend « une dose douce » alors qu’elle ingère une quantité équivalente à un traitement médical.
Les femmes ne consultent pas - et c’est un problème majeur
Une étude en Catalogne a révélé que 42 % des femmes ont commencé à prendre des suppléments herbiers sans en parler à leur médecin. Elles ont suivi les conseils de leur mère, d’un ami, ou d’un post sur Instagram. Sur Reddit, dans le sous-forum r/pregnant, 78 % des femmes interrogées disent être incertaines de la sécurité des herbes qu’elles prennent - et pourtant, 63 % les utilisent régulièrement.
Le problème n’est pas seulement le manque d’information. C’est aussi la croyance profondément ancrée que « naturel = sans danger ». Cette idée est renforcée par les marques qui vendent des produits comme « sans chimie », « doux pour le bébé » ou « traditionnellement utilisé depuis des siècles ». Mais les traditions ne remplacent pas les données scientifiques. Ce qui a été utilisé pendant des générations n’a pas toujours été évalué pour ses effets sur le fœtus. Et les effets à long terme ? Inconnus.
Que disent les professionnels de santé ?
L’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) et la Cleveland Clinic sont clairs : « Les femmes enceintes doivent éviter la plupart des suppléments herbiers. » Leur message est simple : ne prenez rien sans en parler à votre médecin. Même si vous pensez que c’est inoffensif.
Les experts insistent sur un point crucial : la grossesse n’est pas le moment pour expérimenter. Un produit qui ne cause aucun problème chez une femme non enceinte peut avoir des effets imprévus sur le développement du bébé. Par exemple, certaines herbes peuvent affecter la fermeture du canal artériel du fœtus - un processus vital qui se produit vers la fin de la grossesse. Une perturbation peut entraîner des problèmes cardiaques chez le nouveau-né.
Les médecins doivent aussi apprendre à poser les bonnes questions. Beaucoup ne le font pas, pensant que les patientes ne leur diront pas la vérité. Pourtant, une étude montre que lorsqu’on pose la question directement - « Prenez-vous des herbes, des tisanes ou des compléments naturels en ce moment ? » - les femmes sont beaucoup plus ouvertes. Il faut normaliser cette conversation dans les consultations prénatales.
Les alternatives sûres : ce qui marche vraiment
Si vous voulez soulager les nausées, le gingembre sous forme de thé ou de bonbons est une option valide - à condition de ne pas dépasser la dose recommandée. Pour les infections urinaires, les antibiotiques prescrits comme la nitrofurantoïne restent la référence, même s’ils ont leurs propres limites au troisième trimestre. La canneberge peut aider en prévention, mais elle ne remplace pas un traitement médical si une infection est déjà présente.
Les vitamines prénatales, elles, sont testées, dosées et contrôlées. Elles fournissent les nutriments essentiels (acide folique, fer, iode) dont vous et votre bébé avez besoin. Elles ne sont pas « chimiques » - elles sont scientifiquement formulées. Et contrairement aux suppléments herbiers, on sait exactement ce qu’elles contiennent et ce qu’elles font.
Que faire maintenant ?
Si vous prenez déjà un supplément herbier, ne l’arrêtez pas brusquement sans consulter. Mais faites-le savoir à votre médecin dès la prochaine visite. Apportez la bouteille, ou prenez une photo de l’étiquette. Même si vous pensez que c’est « inoffensif », il faut l’évaluer.
Si vous envisagez d’en commencer un, posez-vous ces trois questions :
- Est-ce que j’en parle à mon médecin ou ma sage-femme avant de le prendre ?
- Est-ce que je connais la dose exacte et la concentration du produit ?
- Est-ce qu’il y a des données scientifiques fiables sur sa sécurité pendant la grossesse - ou est-ce que je me fonde sur des témoignages en ligne ?
Si vous ne pouvez pas répondre clairement à ces trois questions, il vaut mieux attendre. Votre bébé n’a pas besoin d’expériences. Il a besoin de sécurité.
Des recherches en cours - mais le temps presse
En septembre 2023, les Instituts nationaux de la santé aux États-Unis ont lancé un projet de 12,7 millions de dollars pour étudier les effets des suppléments herbiers pendant la grossesse. C’est une première. Mais les résultats ne seront pas disponibles avant plusieurs années. En attendant, les femmes continuent de prendre des herbes - souvent sans savoir ce qu’elles ingèrent vraiment.
Le marché mondial des suppléments pour femmes enceintes a atteint 4 milliards de dollars en 2023. Les entreprises ne vont pas arrêter de vendre. C’est à nous, en tant que patientes et professionnels de santé, de demander plus de transparence, plus de preuves, et plus de respect pour la science - pas pour les mythes.
Le gingembre est-il sûr pendant la grossesse ?
Oui, à condition de ne pas dépasser 1 000 mg par jour. Plusieurs études confirment son efficacité contre les nausées et vomissements pendant le premier trimestre. Cependant, il peut interagir avec les anticoagulants. Il est préférable de le consommer sous forme de thé ou de bonbons plutôt que de gélules concentrées, et toujours après avoir consulté votre médecin.
La feuille de framboise rouge peut-elle déclencher le travail ?
Elle n’est pas prouvée pour déclencher le travail, mais elle peut stimuler les contractions utérines. Une étude a montré une augmentation du taux de césariennes chez les femmes qui l’ont prise pour préparer l’accouchement. Elle est classée comme « probablement dangereuse » pour cette utilisation. Même si elle est populaire, il est préférable de l’éviter après le deuxième trimestre sans avis médical.
Pourquoi les suppléments herbiers ne sont-ils pas régulés comme les médicaments ?
Parce qu’ils sont classés comme des compléments alimentaires, pas comme des médicaments. Aux États-Unis, la FDA ne les oblige pas à prouver leur sécurité ou leur efficacité avant de les vendre. En Europe, les exigences sont plus strictes, mais les contrôles varient selon les pays. Résultat : la qualité, la composition et la dose peuvent varier d’un lot à l’autre, voire d’une marque à l’autre.
Les herbes peuvent-elles affecter le développement du bébé ?
Oui, certaines peuvent. Des composés présents dans des herbes comme le romarin, la sauge ou la camomille peuvent traverser le placenta et affecter des processus critiques comme la fermeture du canal artériel, le développement du système nerveux ou la croissance du fœtus. Pour la plupart des herbes, on ne sait pas encore exactement comment. C’est pourquoi la prudence est essentielle.
Que faire si j’ai pris une herbe interdite sans le savoir ?
Ne paniquez pas. La plupart des expositions ponctuelles à de faibles doses n’ont pas d’effet grave. Mais informez immédiatement votre médecin ou votre sage-femme. Apportez la bouteille ou le nom exact de la plante. Ils pourront évaluer le risque réel et décider s’il faut faire des examens supplémentaires. La transparence est la meilleure protection.